Un second projet de décret d'application de la loi n°2022-1587 du 19/12/2022, visant à lutter contre la fraude au Compte Personnel de Formation (CPF) et à interdire le démarchage de ses titulaires, a été soumis pour avis le 20 juillet dernier à la Sous-commission de l'emploi, de l'orientation et de la formation professionnelles (SC-EOFP), ce décret suscite de vives réactions dans le monde de la formation professionnelle.
Nous attendions ce projet de décret dans l’été. Ce n’est qu’en cette rentrée que nous avons eu des nouvelles de ce projet, avec notamment la déclaration d’Olivier Dussopt, ministre de l’emploi, le 13 septembre dernier.
La Boîte à Indés étant mobilisée aux côtés des indépendants pour faire valoir leur expertise et leur agilité en tant qu’acteurs clés de la formation professionnelle a travaillé à l’élaboration d’une note de synthèse visant à sensibiliser nos représentants sur l’impact qu’aurait un tel décret.
Découvrez tout cela dans cet article.
Le projet de décret en synthèse :
1. Vérification de l'éligibilité des organismes de formation :
- Le décret prévoit la mise en place d'une procédure de vérification par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour déterminer si les organismes de formation sont éligibles au référencement sur la plateforme MonCompteFormation (MCF).
👉 Il s’agit ici surtout de légitimer la procédure de référencement déjà mise en place à l’automne dernier.
2. Échanges d'informations :
- Il vise à faciliter les échanges d'informations entre la CDC et les services régionaux de contrôle (SRC) pour renforcer le suivi et la transparence des formations éligibles au CPF.
👉 Les SRC sont coordonnés par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et ce point pourrait amener à un croisement d’informations entre les éléments qu’ils traitent et ceux que la CDC détient. L’objectif étant visiblement pour la CDC de mieux contrôler le marché et les organismes qu’elle référence.
3. Allongement du délai de conservation des documents :
- Le projet de décret propose d'allonger le délai de conservation des documents issus des bilans de compétences, pour les aligner sur la durée de conservation des autres actions de formation (soit 3 ans).
👉 Afin de faciliter les contrôles, les OF (Organismes de Formation) devront conserver leurs archives plus longtemps.
4. Encadrement de la sous-traitance :
- L'une des dispositions les plus importantes concerne l'encadrement de l'exercice de la sous-traitance par les organismes de formation référencés sur la plateforme MonCompteFormation.
Entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2024 (?) :
- Les dispositions relatives à l'encadrement de la sous-traitance dans le cadre du CPF devraient entrer en vigueur au 1er janvier 2024, permettant ainsi aux organismes de formation de se préparer.
Le contenu du contrat de sous-traitance s'annonce plus détaillé, visant à garantir la qualité et la transparence de la prestation pour toutes les parties impliquées. Il prévoit notamment :
- La signature obligatoire d'un contrat de sous-traitance avec des mentions spécifiques, telles que l'intitulé de la prestation, les moyens humains et techniques, la durée, le prix, etc.
- L'interdiction de la sous-traitance en cascade ou avec des prestataires déréférencés de MonCompteFormation.
- Un plafond fixé par arrêté ministériel pour limiter le recours à la sous-traitance.
- Une dispense de certification Qualiopi sous conditions, notamment pour les micro-entrepreneurs ou pour les prestataires qui ne délivrent qu'une partie de la prestation.
👉 D’un point de vue administratif, nos contrats mentionnent déjà l’ensemble des éléments attendus. En revanche, le point suivant va nous pousser à alourdir certains de nos process pour mieux connaître chaque formateur et nous conformer aux exigences du décret.
Quant aux deux derniers items, ce sont plus problématiques selon nous.
En effet, la mise en place d’un plafond pourrait exclure de notre offre tout formateur n’ouvrant pas accès à ses formations à d’autres dispositifs que celui du CPF.
Quant au sujet de la dispense de certification, il nous parait injuste et non conforme à la réalité du marché. En effet, pour deux formateurs réalisant un chiffre d’affaires identique au titre de la formation, mais dont l’un serait micro entrepreneur et l’autre en société, le décret impose de manière inégale que celui qui exerce son activité en société soit contraint de détenir sa propre certification, ce qui ne serait pas le cas pour le micro entrepreneur.
Déclaration d'Olivier Dussopt, Ministre de l'Emploi, le 13/09/2023 : Une Nouvelle Direction pour le CPF
Selon le ministre du Travail, Olivier Dussopt, l'instauration d'un reste à charge pour les formations du Compte Personnel de Formation (CPF) n'est pas actuellement considérée comme un "sujet urgent", bien que l'idée soit toujours à l'étude. Cette mesure avait été envisagée dans le cadre de la loi de finances 2023 pour éviter que les bénéficiaires n'optent pour des formations peu pertinentes et pour maîtriser les dépenses liées au CPF.
Cependant, le décret d'application de cette mesure n'a toujours pas été publié, et son avenir semble incertain. Dans une interview récente donnée au journal L'Opinion, le ministre du Travail a expliqué que les dépenses publiques liées au CPF avaient été réduites grâce à des actions telles que le "nettoyage du catalogue des formations" et la "lutte contre les fraudes". Cette diminution des coûts a conduit à considérer que le sujet du reste à charge était actuellement "moins urgent". L'idée reste néanmoins à l'étude, mais aucune date butoir n'a été fixée pour sa mise en œuvre.
Le projet initial prévoyait d'exonérer du reste à charge les cas où l'employeur contribue au financement de la formation, mais la rédaction de la loi avait omis certains de ces cas, créant des problèmes potentiels. De plus, une étude du ministère du Travail a révélé que la plupart des achats de formations étaient liés à des objectifs professionnels, contredisant l'idée que les formations "plaisir" étaient prédominantes.
B que l'idée d'un reste à charge pour le CPF ait été envisagée dans le cadre de la loi de finances 2023, son décret d'application se fait toujours attendre, et les réductions de coûts liées à d'autres mesures ont réduit l'urgence de cette question, du moins pour le moment.
Impact du projet de décret d’application sur les formateurs indépendants :
Le projet de décret d'application de la loi n°2022-1587 du 19/12/2022 concernant la certification Qualiopi et les formations éligibles au Compte Personnel de Formation (CPF) revêt des enjeux majeurs, en particulier pour les formateurs indépendants. Les principaux enjeux sont les suivants :
- Forme juridique et certification Qualiopi : L'un des enjeux clés du décret est de définir les conditions d'éligibilité des organismes de formation au CPF. Jusqu'à présent, la certification Qualiopi était un critère majeur, ce qui signifiait que de nombreux formateurs indépendants devaient obtenir cette certification ou s’adosser à une structure la détenant.
👉 Nous espérons que le décret vienne clarifier si la certification reste un critère essentiel ou s'il existe d'autres moyens de qualification pour les formateurs indépendants.
2. Charges financières et administratives : L'obtention et le maintien de la certification Qualiopi impliquent des coûts significatifs, que nous avons estimés à environ 7 000 euros par an (voir notre article sur le coût de la certification Qualiopi). Pour de nombreux formateurs indépendants, ces charges financières sont considérables, d'autant plus qu'ils sont souvent des petites structures.
👉 Nous espérons que le décret envisage des alternatives à la certification.
3. Accès au CPF : Le décret aura un impact direct sur l'accès des formateurs indépendants à la plateforme CPF. S'il impose des exigences strictes en matière de certification ou d'organisation interne, cela pourrait exclure de nombreux formateurs indépendants de l'accès au CPF, limitant ainsi leurs opportunités de formation.
👉 Nous espérons que l’ensemble des situations des formateurs indépendants seront prises en compte pour élaborer un décret proche de la réalité du terrain.
4. Qualité pédagogique vs. exigences administratives : Un enjeu clé est de trouver le bon équilibre entre garantir la qualité des formations et ne pas imposer des charges administratives excessives. Actuellement, les certifications et les critères d'éligibilité mettent davantage l'accent sur la gestion administrative que sur la qualité pédagogique.
👉 Nous espérons que le décret réoriente son attention vers la qualité pédagogique tout en maintenant des contrôles administratifs raisonnables.
5. Sous-traitance : Le projet de décret prévoit également d'encadrer la sous-traitance dans le cadre des actions de formation éligibles au CPF. Cela peut avoir des implications importantes pour les formateurs indépendants qui s’adossent aujourd’hui à des solutions de portage pour la partie administrative de leurs formations.
👉 Nous espérons que le décret mette en place des règles en matière de sous-traitance dans le but d’être claires et équitables pour tous les acteurs.
En résumé, le projet de décret d'application de la loi du 19/12/2022 a des enjeux cruciaux pour les formateurs indépendants, notamment en ce qui concerne l'accès au CPF, les charges financières et administratives, la qualité pédagogique et la sous-traitance. Il s'agit de trouver un équilibre entre la régulation nécessaire pour garantir la qualité des formations et la préservation de la viabilité des petites structures de formation indépendantes.
Les formateurs indépendants se trouvent au cœur de cet enjeu. Leur statut juridique peut avoir une influence considérable sur leur capacité à réaliser des formations éligibles au CPF. La certification Qualiopi, souvent coûteuse en temps et en ressources, a été un obstacle pour de nombreux formateurs indépendants, remettant en question leur viabilité économique. Le projet de décret d'application, en renforçant les critères administratifs, peut potentiellement exclure certains formateurs indépendants du système du CPF, malgré leur expertise pédagogique.
L'appel à la reconnaissance des organismes de portage :
Face à ces défis, nous plaidons en faveur de la reconnaissance des organismes de portage via un nouveau label qualité dédié (voir notre post linkedin sur le sujet). Cette approche permettrait de préserver la qualité et l'agilité des formations dispensées par les formateurs indépendants tout en assurant une meilleure organisation de la sous-traitance.
Un label qualité pour les sociétés de portage de formation aurait plusieurs avantages et bénéfices pour le monde de la formation professionnelle et les formateurs indépendants :
1. Crédibilité et confiance : Un label qualité attribué aux sociétés de portage de formation renforcerait la crédibilité et la légitimité des formateurs indépendants. Cela contribuerait à établir un niveau de confiance élevé dans leurs services.
2. Garantie de qualité : Le label qualité servirait de garantie de qualité pour les formations proposées par les sociétés de portage. Cela serait particulièrement important pour les formateurs indépendants, qui pourraient choisir de travailler avec des sociétés de portage labellisées, sachant que leurs formations répondent à des normes élevées.
3. Simplification des démarches : Les formateurs indépendants pourraient bénéficier de processus simplifiés en s'associant avec des sociétés de portage de formation labellisées. Cela réduirait leur fardeau administratif et leur permettrait de se concentrer davantage sur la prestation de formation, leur coeur de métier.
4. Accès aux financements : Les sociétés de portage labellisées continueraient à avoir accès financements de la formation professionnelle, ce qui bénéficierait également aux formateurs indépendants qui travaillent avec elles. Cela maintiendrait les opportunités de formation pour un plus grand nombre de personnes.
5. Encouragement de l'innovation : Un label qualité pourrait encourager les sociétés de portage à innover dans leurs offres de formation et à améliorer continuellement la qualité de leurs services. Cela profiterait à l'ensemble du secteur de la formation professionnelle en favorisant le développement de méthodes pédagogiques innovantes et la mutualisation des ressources.
6. Développement professionnel : Les sociétés de portage pourraient être incitées à investir dans le développement professionnel de leurs formateurs, ce qui se traduirait par une amélioration des compétences et des qualifications des formateurs indépendants.
7. Transparence et responsabilité : Le label qualité pourrait également exiger une plus grande transparence et responsabilité de la part des sociétés de portage de formation, ce qui contribuerait à prévenir les pratiques douteuses ou frauduleuses.
En somme, nous proposons, via ce label, d’aller dans le sens des intérêts de l’Etat qui souhaite réguler le nombre d’acteurs dans le monde de la formation professionnelle, tout en garantissant les intérêts des formateurs indépendants qui représentent 1/4 des intervenants et sans qui l’écosystème pourrait être mis en danger entrainant également une perte de compétences et d’agilité au détriment de la qualité attendue des formations par les stagiaires et leurs commanditaires.